Dossier

Transformation des zones commerciales : de pôles de consommation de masse à lieux de vie et d'habitation

Crédit article : Julien PIERRE 13/06/2024 • 3 min.
Reconversion des zones commerciales en zones d'habitation, mode d'emploi.
Les zones commerciales occupent 5 millions de m² en France

Les zones commerciales occupent 5 millions de m² en France

Développées à partir des années 1960, les zones commerciales d'entrées de villes s'étendent aujourd'hui sur 500 km² cumulés et incarnent la 'France moche' pour reprendre ce terme dont la genèse remonte à un article de 2010 de Télérama sur l'étalement urbain. En septembre 2023 le gouvernement français a décidé d'un plan pour rénover ces zones souvent vieillissantes avec l'ambition d'y injecter du logement pour en faire aussi des zones d'habitation.

Pourquoi avoir entrepris une telle démarche et quelles sont les contraintes et réalités à intégrer dans ce projet ambitieux ?

Dans cet article nous vous proposons de nous intéresser dans un premier temps au succès de ces zones qui sont un moteur de la société de consommation avant dans un second temps de voir comment et pourquoi elles sont devenues plus que des lieux d'achat. Dans un troisième et dernier temps nous nous intéresserons aux enjeux de leur rénovation et les challenges à relever pour opérer leur transformation.

La zone commerciale d’entrée de ville, un modèle économique devenu la norme

D'un point de vue immobilier, le développement des boîtes à vendre et retail parks s'appuie sur une combinaison d’avantages : davantage de m² disponibles (= des surfaces de vente plus importantes pour un loyer/m² bien moins élevé que dans les centres-villes), fonctionnalité des bâtiments, facilité d'accès en voiture, parkings nombreux et gratuits, attraction des locomotives alimentaires de type hypermarché, offre complémentaire de restauration à thème et de loisirs.

A la mesure du flux piéton qui prévaut pour définir l'attractivité d'un emplacement commercial en ville se substitue l'approche par zone de chalandise ('Combien de personnes/consommateurs vivant dans un rayon de n km² autour de la zone ?') couplée à la mesure du flux des véhicules transitant par la zone.

Si la succession des crises récentes (Covid, inflation, difficultés des enseignes de prêt-à-porter, etc) n'a pas épargné le commerce de périphérie et que certaines zones parmi les quelque 1.500 à 1.800 que compte l'Hexagone connaissent des difficultés et de la vacance, le fait est qu'au global c'est un segment de l'immobilier commercial qui s'en sort mieux que le commerce de centre-ville et les centres commerciaux (voir à ce sujet notre dossier d'août 2023 sur l'état du marché de l'immobilier commercial) et que les zones commerciales captent 72% des dépenses des français effectuées dans le commerce physique (contre 15% pour les centres-villes). Et cette relative bonne santé dans un marché immobilier chahuté vaut aussi pour les propriétaires des murs de ces emplacements comme le rappelait récemment Gaël Thomas pour Business Immo dans son édito 'Moi, moche et rentable'.

Vie, logement et loisirs dans la ‘France Moche’ : les zones commerciales, zones de vie et de socialisation

L'essor des zones commerciales a accompagné l'essor des rurbains et de l'habitat pavillonnaire en périphérie des agglomérations. La zone, stratégiquement située sur les trajets quotidiens des actifs vivant dans les zones d'habitats en ceinture extérieure, capte ces consommateurs en leur offrant un vaste choix d'enseignes facilement accessibles. Outre un modèle qui fonctionne sur le 'tout voiture' alliant praticité et choix à outrance, c'est aussi dans les zones qu'on trouve les enseignes de discount et solderies qui attirent les ménages soucieux de leur pouvoir d'achat, encore un facteur d'attractivité en faveur de ces entrées de villes un peu moches certes mais si pratiques.

Avec ses articles consacrés à cette France des zones commerciales (reportage sur la zone vieillissante de Clermont Sud Aubière où la journaliste va à la rencontre de ses usagers ; rencontres avec les résidents de la Zone Commerciale de Mérignac Soleil et de celle de l'Avenue 83 à La-Valette-du-Var), Le Monde met en lumière un mode de vie et de socialisation qui va bien au-delà de l'acte d'achat dans ces espaces devenus le 'coeur battant de la France périphérique' pour reprendre les termes de Jérôme Fourquet, co-auteur de La France sous nos yeux, cité dans l'article.

Si les zones ont déjà intégré une offre de loisirs (complexes cinématographiques, bowlings, kartings, loisirs indoor, discothèques, etc) et de restauration à thème qui les ont aussi transformées en pôles de divertissement, elles intègrent aussi maintenant davantage de services (médecins, pharmacies, coiffeurs, etc) et (pour certaines) des logements avec des habitants qui y vivent à demeure, ayant trouvé là des loyers et une offre de logements plus accessibles.  

Pourquoi développer la mixité des zones commerciales ?

Il existe plusieurs raisons qui motivent la volonté du gouvernement de transformer les zones commerciales sur le territoire national.

La première est celle d'une anticipation de la vacance croissante des locaux sur les zones. En effet, là où en 2022 la proportion des emplacements disponibles sur les zones était de 6,54 % en 2022, le gouvernement identifie en 2023 une progression de celle-ci à 8,5 %. La fréquentation des zones tend à stagner et la part des commerces vides pourrait y atteindre 60% dans dix ans soit potentiellement 15 millions de m² disponibles (chiffres de l’Institut pour la ville et le commerce). Avec la mutation profonde des habitudes de consommation et la progression continue du commerce électronique face au commerce physique, l’Etat voit dans l'émergence de futures friches commerciales une urgence à lancer dès à présent des programmes de conversion pour y construire une offre de logements.

La seconde raison à la mutation des zones commerciales, c’est que dans le contexte de la ZAN (Zéro Artificialisation Nette), ces grands espaces déjà aménagés et artificialisés constituent un gisement  foncier mobilisable pour y construire de l'habitation, des entrepôts et des locaux d’activités – et dans l’hypothèse logements, intégrer également des services et équipements publics et des espaces verts pour limiter l’impact des fortes chaleurs sur ces zones déjà hyper artificialisées.

La rénovation des zones commerciales d’entrée de ville : actions et contraintes

La restructuration des zones commerciales va cibler en priorité sur les zones en perte de vitesse.

En Mai 2024, le gouvernement annonçait 90 projets de reconversions de zones commerciales retenus dans des villes de toutes tailles avec une enveloppe de 31,4 millions d’euros d’accompagnement pour un objectif de construction de plus de 25.000 logements (et la sélection d'une nouvelle vague de projets à l’automne 2024.).

Réussir la reconversion de ces zones nécessite de faire face à quatre écueils que listaient Les Echos dans leur article du 11 Septembre 2023 : convaincre les propriétaires des locaux de vendre, indemniser les commerçants qu’on déplace sur une zone plus dynamique (avec souvent des loyers plus élevés), faire face aux complexités administratives et techniques de ces opérations de restructuration et réussir à générer de la profitabilité sur les opérations de créations de logements dans ces zones rénovées auprès de  promoteurs déjà exsangues après plusieurs années de crise.

La Loi Industrie Verte promulguée fin 2023 est un premier pas du gouvernement vers une simplification des procédures pour la restructuration des zones : d’une part la possibilité de créer du logement dans ces zones sans passer par la révision du PLU ; et d’autre part la possibilité de transférer des espaces de vente d’un périmètre donné sans avoir besoin de nouvelles autorisations commerciales.   

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